jeudi 28 mai 2009

Vive le branle !

S'il y a bien un plaisir dans l'existence auquel je ne sais pas résister, c'est bien le branle !
Ah, c'est insensé ce que je peux aimer le branle !
Je suis un fanatique du branle ! Un branlophile forcené ! 
Et si j'en avais la possibilité je branlerai du soir au matin.
Le branle, le branle, le branle : c'est bien simple, il y a des journées où je ne pense qu'à ça.

Après tout, on est mélomane ou on ne l'est pas. 

Ai-je besoin de vous rappeler que le branle (ou bransle) est une danse inventée au XVI° siècle qui "se doit commencer du pied senestre et se doit finir du pied dextre".
On la nomma branle parce qu'on la danse en branlant d'un pied sur l'autre, mais aussi parce que le tremblement du corps qu'elle provoque n'est pas sens effet sur la moelle des reins.  
Elle ne remplit donc aucune fonction masturbatoire directe, toutefois quand un chevalier demandait à une dame en clignant finnement de l'oeil "m'accorderez-vous ce bransle ?", il était bien rare que le galant ne finisse pas branlé le soir venu. 

On distingue plusieurs types de bransle. Il y a le bransle simple, le plus calme de tous, comme son nom l'indique, et que tout un chacun connait assez bien, le bransle double, également calme, au rythme binaire ou encore le bransle gai (dit gay branle en anglais), dont je crois inutile de vous faire un dessin. 
Le bransle gai était réputé être le plus folâtre, le plus vivant. Pourtant quand on essaya de l'importer en Bourgogne il ne suscita que le plus mortel des ennuis, aussi, toujours dotée d'une prodigieuse école musicale, inventa-t-elle son propre type de bransle : le branle de Bourgogne. C'est de loin le plus vif et le plus enjoué de tous (l'inverse eût été surprenant), il acquis vite une telle réputation qu'il supplanta tous les autres. 

Il est dommage qu'une forme aussi charmante de musique et de danse ait été abandonnée avant d'avoir livré toute sa substance, avant d'avoir envoyé toute sa purée comme on dirait trivialement. Quelques grands compositeurs comme Stravinsky ou Poulenc tâchèrent de le remettre au goùut du jour, mais eurent-ils pisser dans un basson que l'effet eût été identique. Gageons que quand la Bourgogne sera libérée nous assisterons enfin au retour tant attendu du bransle, qui nous débarrassera de la vulgarité musicale dont nous sommes submergés.

Mais pour ce qui est de la musique, il vaut mieux s'adresser à l'oreille qu'à la raison, voici donc pour vous une ptite démonstration, joliment éxécutée par un sympathique groupe de jeunes branleurs espagnols :

jeudi 21 mai 2009

La prophétie

La Bourgogne regorge de trésors.  Son sol est grouillant de chefs d'oeuvre, il pullule de merveilles. Elle dort sur un magot infini. Et le plus triste c'est qu'elle n'en a même plus conscience. 
Ainsi le Puits de Moïse de Claus Sluter...
Ce sommet de l'art occidental !
Bien sûr tous les Bourguignons sont plus ou moins au courant de son existence mais combien d'entre eux prennent la peine d'aller l'admirer ? 
Peu.
Bien peu.
A peine quelques bourguignonistes forcenés et quelques inconditionnels panégérystes de l'art absolu  dont je m'honore de faire partie.  
Moi-même j'ai d'ailleurs longtemps différé cette visite.  Il est vrai que l'accès n'en n'est pas aisé. Il faut longer longuement l'autoroute sur un petit pan étroit de trottoir mal goudronné, supporter le pénible bruit des trains et l'âcre odeur des pots d'échappement qui toxiquement, dans un nuage évanescent, vous envoient leur grise fumée dans la cavité pulmonaire, il faut aussi endurer sans abri les tourments de la pluie ou du soleil, en un mot il faut faire tout le tour de l'hopital.
Mais l'effort n'est pas vain ! Car ce qui attend le voyage un peu curieux et téméraire dépasse tous ses espoirs. Vous qui entrez dans cet hôpital psychiatrique, découvrez l'espérance !
Avant de découvrir le puits lui-même il faut errer quelques temps dans un immense jardin, peuplé d'aliénés au cerveau amoindri, et enfin on le découvre, au fond d'une grande cour blanche, comme une apparition, c'est lui, c'est bien lui, on ne rêve pas, le cauchemar prend fin, la beauté devient réelle, déjà la Bourgogne semble se libérer car il est là : le fameux Puits de Moïse !


Oubliez toutes les photographies que vous avez pû en voir. Moi aussi je croyais connaitre cette sculpture sous toutes ses coutures, mais il me suffit de jeter coup d'oeil même fugace sur le puits pour oublier tout ce que je croyais savoir à son sujet. 
J'ai visité le Louvre, j'ai trainé mes savates au Prado et mes babouches à Tanger, j'ai crapahuté à Venise, je me suis baguenaudé à Bruxelles, j'ai musardé à Londres, tournaillé à Dunkerque et launé à Berlin, et bien je l'affirme sans frémir, je n'y jamais rencontré oeuvre digne de celle-ci. 
Elle surpasse tout ce que la sculpture a pu produire, et humilie tranquillement 30 000 ans d'histoire de l'art. 
Ces pauvres hommes des cavernes en auraient avalé leurs menhirs, quant à Phidias, la vue d'une telle merveille l'aurait illico renvoyé se faire voir là d'où il vient (c'est-à-dire chez les Grecs).
Il faut voir le regard terrible de ces prophètes, la finnesse de leurs traits où la moindre ride dessine disctinctement leur visage surhumain. On se prend à s'étonner de leur mutisme en voyant ces bouches qui semblent s'animer, on croit entendre gronder leur voix dans le ciel même. L'effet est saisissant. On à peine à croire qu'il ne s'agit que de pierre taillée. Ces statues là vivent. Elles vivent de la vie puissante des prohètes de la Bible. On sent que ces regards inquisitoriaux, d'une force glaçante, se sont déjà posé sur Dieu lui-même. 
C'est une oeuvre effroyable et sublime. 
Pour moi elle marque la parfaite synthèse entre l'art gothique et l'art renaissant. 
Qu'on s'entende. Je porte la plus vive admiration pour l'art italien de la Renaissance, c'est lui qui a poussé le plus loin la perfection technique, mais j'ai toujours trouvé qu'il y avait quelque chose d'affecté. On sent la pose et l'afféterie, ce qui s'explique sans difficultés par la corruption des moeurs des artistes de cette époque. En un mot, lorsque j'observe les satues italiennes, ce n'est pas à l'Olympe que je songe mais plutôt à un défilé d'invertis.
L'art gothique me plait bien davantage. Il a une simplicité qui le rend bien plus touchant, et son aspect impersonnel le rend plus solennel et donc plus religieux. Mais il conserve toujours une certaine raideur, une certaine maladresse un peu gênante.
Le puits de Moïse accomplit ce miracle de mêler à la perfection technique la profondeur de l'âme. 

Comment rester français après un tel spectacle ? 

L'isolement du Puits rend sa visite plus agréable puisqu'elle empêche d'être dérangé par des cohortes de touristes imbéciles. 
Autour de moi quelques aliénés paraissaient partager mon émerveillement. L'un d'eux assis sur un banc penchait son visage sur son épaule, la bouche aussi béate que la mienne, laissant échapper un abondant filet de bave sur sa belle camisole blanche. 
Un autre à l'enthousiasme plus expansif donnait frénétiquement de formidables coups de tête à un châtaigner (j'ignore ce que lui avait fait ce pauvre fagacé).  Deux infirmiers aux épaules de bûcherons vinrent mettre un terme à l'inégale lutte entre cet arbre et ce demeuré, visiblement pour l'emmener prendre une petite douche, qu'il avait d'ailleurs bien mérité.
De toute évidence, une oeuvre d'une telle force n'est pas sans dommage pour la raison. 

Je restai près de deux heures bouche bée, en extase devant ce miracle bien réel. Quand mon hébétude commença à endolorir ma mâchoire je me décidai à rentrer. 
Je rentrai chez moi lentement, les yeux encore éblouis.
Que dire en conclusion ? 
Rien.
La pierre m'a prouvé sa supériorité sur toute littérature. 
Allez-voir le Puits de Moïse, il surclasse toute description. 
Et là bas, dans cet asile de déments, à la périphérie de Dijon, en regardant Daniel droit dans son regard de feu vous comprendrez ce qu'est vraiment la Bourgogne. Car cette oeuvre en est la plus parfaite définition, elle nous montre ce qu'elle est et ce qu'elle peut accomplir, et ce qu'elle prophétise solennellement c'est sa libération prochaine !

mercredi 13 mai 2009

Les Bourguignons contre la France

A en croire la plupart des historiens français (mais il faudrait être naïf pour croire aux fantasques élucubrations de ces charlatans), l'histoire de Bourgogne se serait arrêtée net en 1477. Comme si, à la mort de Charles le Téméraire, tous les Bourguignons s'étaient tous francisés d'un seul coup. Comme s'il y avait eu une francisation bubonique, plus rapide que la peste du même nom. Ai-je véritablement besoin de vous préciser l'extrême modération avec laquelle nous acceptons une telle opinion ? Il suffit d'ailleurs de se pencher un peu sur l'histoire pour que le mascaret de la vérité vienne déferler en déluge sur le château de sable de la propagande. 

En réalité la Bourgogne a toujours été l'éternel foyer de l'anti-France. Le massacre de français fût même longtemps pratiqué comme un sport de loisir, au même titre que la pêche à la ligne. Jamais la Bourgogne ne se considéra comme française, et elle ne manqua pas une occasion de le rappeler à ses envahisseurs. Ainsi dès 1477, alors que les Français venaient d'occuper leur ville, les Dijonnais firent immédiatement savoir aux agonis hexagonaux ce qu'ils pensaient d'eux. Ils se soulevèrent tonitruamment dans une émouvante émeute, une hache à la main et une bouteille de rouge dans l'autre. Pas une maison des partisans de la France ne fût épargnée, tout fût renversé, pillé, vengé. 
Ce fût le micmac de la mutemaque ! 
La colère des alcoolos ! 
La bourrée des bourrés ! 
Il faut imaginer cette foule splendide, avinée, déferlant furieusement dans les rues dijonnaises aux cris de « vive la Bourgogne ».  Ah puissions-nous revivre des heures aussi intenses, des joies aussi absolues, des extases aussi aigües. Puissions-nous revoir les français fuirent à toute jambe l'éthylique enthousiasme des Bourguignons libres !

Si elles ne se méfient pas, nos élites pourraient bien voir un jour leurs belles maisons finir en grillade.

La mutemaque était dirigée par l'impavide Chrétiennot Vyon, un épicier ruiné qui fût en quelque sorte le créateur de ce mouvement dont nous ne sommes que les héritiers : le mouvement de libération de la Bourgogne. Il conduisit la troupe de ces héroïques résistants (venus pour la plupart du quartier Saint-Nicolas) devant le Président du Conseil de Bourgogne, alors nommé Jouant, pour lui demander d'acclamer la duchesse Marie de Bourgogne. A cette honnête proposition ce dernier opposa son refus le plus catégorique. Vyon usa de toute la force de son éthylique dialectique pour faire fléchir le Président. En vain. Ne renonçant pas à l'idée de convaincre pareil entêté Chrétiennot eut recours à des arguments plus efficaces, quoiqu'un rien plus rudes, en lui enfonçant son poignard en plein coeur. A défaut de bourgogniser ce collabo, cela eut au moins pour effet de lui inculquer une mémorable leçon de respect. Malheureusement (et vous vous en doutez) Louis XI fut peu sensible aux revendications pourtant bien légitimes de cet affable épicier, et le 7 juillet 1477 il pratiqua publiquement une décollation de son sinciput, dont Chretiennot Vyon ne put jamais se remettre puisqu'il mourut sur le coup. 
Puis le calme revint. 
Du moins en apparence.
Car dès le mois décembre, bing !!  re-belote, re-émeute, re-pillage et re-décollation encéphale des émeutiers. 
Qui pourra encore soutenir que les Bourguignons veulent être français ?
Ensuite ? 
Croyez-vous que le calme revint ?
Que nenni !
Les Dijonnais ne laissèrent pas le temps aux occupants de souffler, qu'à peine 153 ans plus tard, en 1630, Dijon se souleva à nouveau. Cette fois le peuple avait de bonne raison d'être pris de fureur : Richelieu voulait alors imposer une nouvelle taxe sur le vin. L'insensé ! S'en prendre au vin ! C'était comme vouloir priver les Allemands de bière ou les Sénégalais de bananes. La réaction fût immédiate. L'émeute fût cette fois appelée le Lanturlu (même dans leurs accès de violence, les Bourguignons conservent leur bonhommie en trouvant des noms rigolos à leur frénésie meurtrière). Elle fût conduite par un authentique héros, un des bourguignons libres les plus illustres : Antoine Changenet, dit le roi Machas ! Il avait gagné son titre royal au carnaval et conduisait ses troupes vêtu de son long manteau bariolé et magnifiquement coiffé d'une couronne de lierre. Quel panache ! C'est dans cette tenue élégante et somptueuse qu'il incendia brutalement les demeures des puissants de la ville, pour bien faire comprendre à ces traitres ce qu'il en coute de soutenir la France. 
Louis XIII (pour qui j'ai toujours éprouvé une certaine sympathie en raison de l'éclatante beauté de sa moustache) est obligé d'intervenir en personne pour mettre fin au soulèvement de la Bourgogne. D'une plus grande mansuétude que son aïeul, il ne procéda à aucune décapitation, il se contenta de pendre une poignée de personnes puis de les découper en tranches et d'exposer leurs membres hachés aux portes de la ville. 
On imagine plein de rancoeur ce roi arrogant plastronner sur l'actuel place Wilson devant cet étal de boucherie de Bourguignons. Mais il peut bien ricaner ce roi présomptueux et cruel, il peut bien lisser du bout des doigts sa fine moustache (dont il a bien raison de s'enorgueillir, car quelle moustache !), il en est un au même moment qui rit plus fort encore : c'est le roi Machas qui a sut lui échapper en se réfugiant à Chenôve (là où moi-même je nacquis. Coincidence ? Qui le croit est un sot). 

Vive l'immortel roi Machas !

Mais ce n'est pas tant dans un but historique que je vous décris ces émeutes, mais bien à des fins politiques car elles nous prouvent que Dijon n'a jamais accepté sa soumission, et la France n'est pas à l'abri d'une nouvelle révolution qui pourrait bien cette fois être la dernière.

Il est toujours bon de le rappeler.