mardi 25 août 2009

Voyage d'agrément de Semur-en-Auxois à Flavigny-sur-Ozerain

Il est une coutume que nous partageons, mes amis et moi, et qu'il ne viendrait à l'esprit d'aucun d'entre de nous de déroger, qui consiste à se réunir annuellement dans ma demeure semuroise, où je fais office d'architriclin, pour y gobeloter jusqu'à plus soif et lamper les boissons les plus capiteuses. Cette année ne marqua nulle exception à cette délicieuse habitude, et nous nous trouvâmes, pas plus tard que samedi dernier, avachis dans mon salon, en train de récupérer de la bamboche orgiaque de la veille. Ah ça pour ribauder, nous avions ribaudé !

Toutefois, nous en étions à nous demander comment tuer le temps en attendant de remettre le couvert le soir-même.

« _ Qu'est-ce qu'on fout ? Demanda l'un de mes commensaux, dont je suis lié par une amitié si ancienne déjà, et si forte, que je pardonne bien volontiers la trivialité de son langage.

_ Et si nous allions visiter quelque chose ?

L'idée d'aller nous promener dans ce jardin d'Eden qu'est l'Auxois ne pouvait que me ravir, de plus je ne répugne pas à faire de temps à autre le cicérone, aussi, j'acceptai cette proposition avec la plus grande félicité.

_ Avec allégresse, répondis-je, que souhaitez-vous voir ?

_ Et pourquoi pas Flavigny ?

Je frémis.

_ Flavigny ? m'enquis-je pusillanimement tandis qu'une longue trainée de sueur inondait ma tempe blême, tu veux dire Flavigny-sur-Ozerain ?

_ Oui da ! ».

Mon visage passa du pâle au diaphane.

La goutte de sueur se mua en un prodigieux déluge.

Flavigny sur Ozerain est un village d'apparence charmante, mais il est situé au dessus d'une colline, éloignée de toutes les voies de communication. Il en résulte que ce bourg a été comme totalement oublié du reste de l'humanité depuis le XII° siècle, ce qui fait, on en conviendra volontiers, une sacré paye.


Flavigny, perchée sur sa colline, si loin de tout, si loin, si loin.....

Ce repli sur soi pour le moins prolongé n'a guère contribué à adoucir les moeurs flavigniennes, bien au contraire. Lâchons le mot, Flavigny est sans conteste le village le plus réactionnaire de France.

Toute forme de progressisme, même discrète, même timorée, même feutrée, y est bannie avec la plus brutale sévérité. Un militant de l'UMP passerait là bas pour un gauchiste des plus séditieux.

Pour vous prouver que je n'exagère en rien, apprenez que la personne la plus honnie de ce village a pour nom Jean-Paul II. Oui, oui, Jean Paul II, le précédent locataire du palais du Vatican, ce pape chauve et débonnaire, toujours souriant. Il est considéré là bas comme un révolutionnaire malfaisant, un subversif de la pire espèce, comme l'antéchrist en personne. Vous seriez mieux accueilli au Texas en arborant un T shirt à l'effigie de Ben Laden qu'à Flavigny avec un portrait de Jean Paul II. Ce qu'on ne lui pardonne pas, c'est d'avoir permis que la messe soit prononcée dans un autre idiome que le latin. Cela les flavigniens n'étaient pas prêts de le digérer, c'était révolutionner de façon trop radicale leur mode de vie. Songez que là bas, même l'art gothique, qui a portant connu du XIII° au XV° siècle un honorable petit succès, est considéré comme une mode passagère importée par quelques zazous d'Ile de France, alors une messe en français, pensez donc !

Ce n'est pas pour rien que Monseigneur Lefebvre, le principal opposant aux réformes de Vatican II, trouva à Flavigny le soutien le plus fanatique. Quant à Benoit XVI, malgré ses courageuses réformes, il n'y est guère plus apprécié puisqu'on le surnomme Urina Frigidae.

La porte d'entrée de Flavigny, certes très belle, mais qui ne dénote pas d'un sens démesuré de l'hospitalité.

Vous comprenez mieux à présent d'où venait le frisson qui me parcourait l'échine, l'idée que l'un de mes amis puisse afficher un peu trop ouvertement un signe de modernité nous exposait en effet aux pires représailles. Hélas, comme mon précédent article le laissait supposer, je n'ai pas le permis de conduire, je ne pus m'opposer à ce choix, et nous voilà partis, assis à 6 dans une 4L en direction de ce lieu de vertu et d'anti-débauche.

A peine arrivés, nous nous précipitons à l'abbaye. Moi, quand je vois une abbaye, je ne réfléchis pas : je me précipite. L'angoisse qui me rongeait le ventre s'apaise peu à peu dans la contemplation des chapiteaux sublimes de la crypte carolingienne. Le travail acharné que ces moines ont effectué pour conserver le souvenir de l'art romain ma va droit au coeur, moi qui essaye également de sauvegarder l'art bourguignon. Et puis soudain, alors que j'étais déjà complètement rasséréné par l'harmonie des lieux, un de mes amis osa demander, à haute voix :

"_ Elle date de quand cette abbaye carolingienne ? "

Je manquai de défaillir.

Autour de nous commença à s'amasser un groupe de visiteurs à l'air scandalisé.

Je foudroyai mon ami du regard et préférant ne pas nous attarder plus longuement dans ce lieu après qu'une telle sottise y fût proféré nous partîmes avec toute la précipitation dont je disposais dans l'état de choc où mon esprit gisait.

On a beau dire, l'art carolingien, ça a de la gueule !

Nous nous dirigeâmes ensuite vers la splendide église Saint-Genest. Comble de malchance, celle-ci était fermée par une grille, qui nous permettait d'en observer l'intérieur mais qui nous exposait aux oreilles des passants flavignyens, et par conséquent à leur furie. Le dialogue suivant s'entama, avec toute la familiarité dont mes amis sont capables :

"- Mazette quel jubé ! Pour un jubé, ça c'est un jubé !

- Matez moi un peu cette statue d'ange de l'Annonciation, elle envoit du lourd !

- Saviez-vous mes amis (là c'est moi qui parle) que ce saint lieu est le receptacle de la dépouille de notre très vénérée Saint Reine, (que Dieu ait sont âme) ?

La réponse fusa, comme un balle tirée dans le dos :

-Sainte Reine, qui c'est celle là ?"

Je tâche d'interrompre la question de cet inconscient, qui semblait ignorer que Reine est cette sainte à qui Olibrius pratiqua sans ménagement une décollation de la tête. Trop tard hélas. Deux passants nous avaient distinctement entendus. Le regard qu'il nous jetèrent n'était pas noir, il était ébénique, charbonné, africain ! Je crus voir une écume de bave se former au bord de leurs lèvres, tandis que leurs visages prenait peu à peu la teinte de la lave en fusion. Afin d'éviter un esclandre qui s'annonçait imminent, j'entraine mes amis en courant vers le premier bar venu.

Je commençai à respirer un peu mieux en voyant que le scandale avait été évité. Et finalement nous terminâmes cette visite, au demeurant délicieuse, autour d'une bonne cervoise (la seule boisson fraiche servie dans ce village), tant il est vrai qu'en Bourgogne, même dans ses contrées les plus réactionnaires, tout finit par des beuveries.

samedi 8 août 2009

Hit the road Charles !

Découvrez la playlist hit the road de charles_le_temeraire


_ Tiens mon chéri, ton petit déjeuner est prêt.
_ Voilà ce que j'en fais de ton petit déjeuner ! lui répondis-je en lui projetant un verre de jus d'orange pressée au visage. Au diable ta petite routine ! Aujourd'hui nous allons prendre le large, fais chauffer la bagnole !

Et nous voilà parti, ma mère et moi (car il s'agissait de ma mère dans la scène précédente), arpentant comme des fous les routes de l'Auxois à toute berzingue, sous le regard médusé des Charolaises livides, roulant à des 70 à l'heure les cheveux bien à l'abri du vent dans notre Ford Fiesta indécapotable !

Pour les vacances il y en a qui rêvent de plages de sable fin, de palmiers, de noix de coco. Or je vous le demande, qu'il y a-t-il à voir dans ces coins paumés ?
Nada, comme disent les Italiens. Je ne comprendrai jamais pourquoi des touristes s'en vont par milliers moisir dans des coins aussi sinistres. Pour moi rien ne vaudra jamais le Sud de la Côte d'Or ! Le seul Sud qui me fasse rêver, c'est celui de l'Auxois ! Vous comprendrez mon impatience, ma trépignation, quand vous saurez que notre première destination n'étais autre que la Bussière-sur-Ouche. Déjà je frétillais de jubilation rien qu'en pensant au bas relief de Saint Hubert qui m'attendait là bas ! Hélas, trois fois hélas, l'église était fermée pour cause de restauration...
Qu'à cela ne tienne, il en faut plus pour entamer notre enthousiasme bouillonnant, à maman et à moi, nous remettons illico dans l'autoradio un bon vieux CD de Guillaume Dufay et déjà la voiture parait décoller, et petit à petit elle nous conduit au milieu des vignes, en plein pays Beaunois, au coeur même de la Bourgogne ! Ah quel paradis ! Ici tous les villages ont des noms de vin. Il suffit de lire sa carte pour s'enivrer. Et devant nous, Arcenant ! Arcenant ! Arcenant !

Le pavillon de la Bourgogne Libre flotte au sommet d'Arcenant.

Qu'allions nous voir à Arcenant ?
A votre avis ? Béotiens ! La statue équestre de Saint Martin pardi !
L'église d'Arcenant parait assez ordinaire de l'extérieur, bien que la butte sur laquelle elle est juchée en renforce la majesté. Quant à l'intérieur, il est criant de vulgarité. Tout ce que l'art religieux du XIX° siècle a fait de pire s'y trouve exposé. Les amateurs de peinture troubadoure et de grimaces ingresques y seront comblés. Mais au dessus de la porte, la statue est là, et quelle statue ! un chef d'oeuvre ! et quel chef d'oeuvre ! Slutérien à mort ! Quel contraste entre le visage calme, doux, assuré du saint (qui ressemble à un personnage de Lippi) et les guenilles en loques du cul terreux ! Je vous en aurais bien montré une photographie, mais celle que j'ai prise est floue hélas.
La beauté, ça donne faim. Et nous voilà au restaurant. Le patron nous écrase les mains en nous saluant avant de nous servir un copieux jambon persillé et une bonne lampée de Passetougrain, dont la translation entre mon verre et mon gosier est effectuée à la vitesse de l'éclair.
Et c'est reparti. L'étape suivante : Mimande ! Le fameux pays de Xavier Forneret.
Déjà à Chaudenay, en visitant l'église je suis pris d'une intense émotion en songeant que sans doute, le poète venait se recueillir en ces lieux.

Votre serviteur, bigrement ému, dans l'église de Chaudenay.

J'avais envisagé cette expédition depuis longtemps déjà, sans jamais oser franchir le pas. Comme la photo précédente en atteste j'étais vêtu pour l'occasion de mon habit le plus noir pour ressembler le plus possible à l'immortel auteur de "L'homme en noir, blanc de visage". Sa maison est assez difficile à trouver, elle est située tout au bout d'une impasse, après un petit pont étroit. Je riais d'avance de la surprise qui serait celle des actuels occupants des lieux en voyant venir chez eux le sosie de Forneret. Hélas le pauvre poète a été bien oublié en ces lieux. Les locataires furent tellement surpris de voir quelqu'un s'aventurer sur leurs propriétés qu'ils lâchèrent sur nous deux gigantesques molosses, aux dents aussi longues que mes jambes, et fichtrement bien aiguiséés. Le propriétaire était au premier étage, entièrement nu, il nous hurla quelques mots rendus incompréhensibles par les aboiements assourdissants des deux cerbères, dont la gueule béante s'acharnait sur les grilles de la propriété. Je ne prétends pas connaitre le langage des animaux mais la façon dont ces deux canidés faisaient grincer les sabres qui leur servaient de dentition ne me parut pas être le signe de la plus franche camaraderie. De plus, et ce depuis ma plus tendre enfance, j'ai toujours éprouvé une certaine réticence vis-à-vis de la douleur physique et de la section de l'un de mes membres. Nous ne crûmes donc pas fort utile de nous attarder plus longuement et rebroussâmes chemin, en quatrième vitesse.

L'accueil, très modérement accort, de la maison Forneret.

Avant notre départ j'eus le temps de prendre une photographie. Au premier étage, deux bambins me regardaient tout étonnés, et quand nous partimes le plus grand des deux regarda son petit frère en se frappant la tête avec l'index. Il faut croire que les admirateurs de Forneret sont peu nombreux à faire le pélerinage...
Ce fut là la plus grand déception de notre expédition. Forneret en effet était relativement riche, et je pensais trouver dans sa maison des personnes aux moeurs soigneusement lissées par un porte monnaie débordant de pognon, qui m'auraient volontiers fait visiter la propriété, et plus particulièrement la tombe de Bertram, le chien du poète...

Mais baste ! Reprenons notre route. Notre voyage avait atteint là son point le plus méridional. Aller plus au Sud nous aurait conduit en Saone-et-Loire, et une telle expédition nous parut beaucoup trop avantureuse, aussi nous dirigeâmes nous vers le Nord.
Ce fût d'abord l'impressionante colonne de Cussy.

Bibi, devant la colonne de Cussy. Avouez que la photo n'est pas dégueulasse.

La visite de l'église de Foissy fût rapidement expédiée, pour cause de fermeture. Puis ce fût celle d'Arnay-le-Duc, où je me recueillis pour prier le Seigneur.


Enfin ce furent Meilley sur Rouvres et sa fresque de 1485 et Saint-Thibault, la plus belle église de l'Auxois, donc du monde.


Le pied d'une statue de l'église de Saint Thibault. On y voit très bien le drapé lourd, ondulé, volupteux, caractéristique de la sculpture bourguignonne.

Enfin, retour à la maison.
Avouez après un tel récit qu'il faudrait être le dernier des sots pour partir en vacances sur une misérable étendue de cailloux brisés par l'érosion sise devant cette accumulation grotesque de Dioxygène, d'Hydrogène et de Chlorure de Sodium qu'on appelle la mer. En une journée à peine, j'ai eu à ma portée plus de 1600 d'histoire de l'art Bourguignon, des paysages verdoyants et une boustifaille à se rompre la panse. Bref, pour les vacances, rien ne remplacera jamais le Sud de la Cote d'Or !
Alors bonnes vacances à tous ! Et à bientôt sur les routes de Bourgogne !