jeudi 10 novembre 2011

La Bourgogne se divise

Chaque année, et ce depuis déjà 577 ans, ce qui commence à faire une petite paye, on voit revenir à la surface le même débat, la même dispute, insoluble, entre les Bourguignons. Chaque année c'est la même discorde qui renaît.
Ainsi, pas plus tard que ce matin, alors que je buvais un petit kir en guise de petit déjeuner (rien de tel pour entamer la journée avec entrain) j'assistais à cette scène, si familière, et qui devait se jouer, au même instant, dans d'innombrables troquets bourguignons :
Deux hommes, dont la très forte érubescence nasale révélait clairement leur faible dilection pour l'eau minérale, se serrèrent jovialement la pogne et s'invitèrent mutuellement à lamper un peu d'éthyle. On aura compris que je ne manquai pas d'approuver intérieurement l'excellence de leur décision. Pourtant rapidement, le dialogue se mit à tourner aigre. Le voici, tel quel que je l'ouïs :
- Tiens, Dédé, comment ça va vieux dégueulis ?
- Tiens Julot, vieille rognure d'ongle, ça fait une paye qu'on ne t'avait pas vu.
- Et comment ! Ça s'arrose, non ?
- Un peu mon n'veu. Qu'est-ce que tu bois ?
- Ah, tu sais qu'avec ma quintuple cirrhose, je dois faire gaffe, il faut que je me surveille.
- Bah, un petit kir, ça n'a jamais fait de mal à personne. Surtout à 9 heures du matin !
- Ah t'as raison tiens. On n'est pas des Français après tout.
- Manquerait plus que ça. Tiens tu m'en diras des nouvelles.
- Allez à la tienne vieille aisselle !
- A la tienne vieux sphincter ! Et à la santé de Charles le Téméraire surtout, car c'est son anniversaire.
A ces mots, le ci-dessus-nommé Julot reposa son verre et devint aussi blême qu'un pastis. Je crus un instant que c'était là un effet de son foie cancéreux, mais la suite de leur conversation me prouva qu'il n'en n'était rien.
Interloqué, son camarade l’interpella :
- Heh ben qu'est-ce qu'y te prends Julot ? Tu n'bois donc pas ? Tu n'veux donc pas honorer notre bon duc ?
- Si fait, mais je souhaite l'honorer à l'heure qu'il sied et non à des jours indus.
- Bah, et dis moi quel meilleur jour pour célébrer son anniversaire que celui du jour de sa naissance.
- Aucun.
- Alors trinquons !
- Non.
- Et pourquoi non ?
- Parce que Charles le Téméraire n'est pas né le 10 novembre, mais bien le 11 !
- Le 11 ! J't'en ficherais moi des 11, heh onziste de mes deux !
- Minable dixophile !
Après cet échange de mots aimables, Julot expédia le contenu de son godet au visage de Dédé, qui répliqua en décochant un formidable coup de poing dans son foie cirrhosé qui terrassa son camarade. Dédé acheva son verre de kir d'une traite et quitta l'estaminet tout à fait discourtoisement, sans même prendre la peine de dire au revoir à son ami, qui gisait inerte sur le carrelage.

Quand naquis-tu donc, ô grand duc ?

Heh oui, comme chaque année la Bourgogne se divise entre les dixophiles et les onzistes, entre ceux pour qui notre grand duc, Charles le Téméraire est né le 10 novembre et ceux pour qui il naquit le 11. La bataille fait rage, et ce depuis longtemps, entre ces deux camps, véritablement inconciliables.
On dit même qu'en certains coins de la Bourgogne, il existe quelques douzolâtres, tout à fait hérétiques et heureusement fort minoritaires.

Les dixophiles appuient leurs idées sur les travaux de Henri Pirenne, le plus grand historien belge, Philippe de Commynes, historien du XV° siècle, non contemporain des faits et à tendance francophile, ou encore Prosper de Barante, auteur d'un immense ouvrage d'histoire sur les ducs de Bourgogne, remarquable mais souvent trop romancé.

Mais les onzistes ne sont pas en reste puisqu'ils ont de leur côté Jospeh Calmette, le plus grand historien de la Bourgogne, Paul Bonenfant et Jean-Marie Cauchies, deux historiens belges, ainsi qu'Enguerrand de Monstrelet, chroniqueur du XV° attaché à la maison Bourgogne . En outre, argumentent-ils, le choix du 11 novembre présente cet avantage que ce jour est déjà férié, et qu'il est plaisant d'imaginer que pendant ce jour, si les anciens combattants défilent, c'est aussi pour rendre hommage à leur glorieux suzerain.

La ville de Dijon elle-même, par le biais d'une plaque commémorative semble afficher ouvertement ses opinions dixophiles.


Le débat n'est sans doute pas prêt de prendre fin, tant il enflamme les passions. Je pus encore le constater en discutant de la question avec un ami, bourguignon libre bien sûr et natif du 10 novembre.
- C'est curieux, lui dis-je, que nous ne sachions pas avec certitude la date de naissance du personnage le plus illustre de l'histoire de la Bourgogne.
- Curieux ? Je ne vois rien de curieux là dedans, Charles naquit le 10 novembre, tout comme moi. Il n'y a là aucun mystère. Ce qui est curieux, c'est que certains jean-foutres s'acharnent à contester cette vérité, ces fumiers de onzistes, ces ordures, ces....
Mon ami devint alors rouge comme un verre d'Irancy, il se mit à trépigner et à verser des torrents de bave, avant de se rouler par terre en tapant rageusement du poing.
Je crus bon de changer de sujet de conversation.

Devant une polémique d'une telle ampleur, le MLB ne peut évidemment pas prendre de position officielle, quoique chacun de ses membres ait son idée sur le sujet. Après tout, Dixophiles et onzistes sont tous des Bourguignons, appelés à s'unir sous la même bannière : celle de la Bourgogne Libre.